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COHN BENDIT

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Gilles Caron

1968

Nous sommes le 6 mai 1968 devant la Sorbonne. L’Allemand est étudiant. Il s’appelle Daniel Cohn-Bendit. Il est convoqué avec 7 de ses camarades pour un conseil de discipline. Il faut dire qu’il a fait du chahut et l’Histoire dira qu’il continuera d’en faire. Christian Le Palladec, le jeune Breton, n’est pas CRS, contrairement à ce que pourrait faire croire son casque et à la légende fausse et tenace qui se perpétuera. Il fait partie des forces d’interventions de la Préfecture de police. 1500 hommes sont déployés ce matin-là dans le Quartier Latin autour de la Sorbonne.

Il y a plusieurs photographes de presse devant l’université parisienne. Parmi eux, le reporter de guerre Gilles Caron, 28 ans, entré à l’agence Magnum un an auparavant. Il revient du Biafra, il mourra deux ans plus tard de façon mystérieuse au Cambodge.

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Grâce aux planches contact, on sait que Caron a fait beaucoup de photos sur ce bout de trottoir devant la Sorbonne avant de faire la photo que l’on retient aujourd’hui. Il y a d’abord, l’arrivée du groupe d’étudiants convoqués au conseil de discipline, mené par Cohn-Bendit. Caron et ses confrères saisissent la scène assez banale. Ce sont des jeunes gens bien propres sur eux. L’un d’eux porte même une cravate. Sous une veste qu’il jugera plus tard “ringarde”, Cohn-Bendit arbore une chemise sous laquelle on aperçoit un tee-shirt blanc. 50 ans plus tard, il porte toujours un tee-shirt blanc sous ses chemises. Le petit groupe se donne des airs décontractés.

Les étudiants ignorent que le préfet de police Maurice Grimaud vient de passer à côté d’eux, à pied, incognito, accompagné d’un seul collaborateur. Gilles Caron a photographié le préfet sans s’attarder. Puis le photographe se positionne près de la porte de la Sorbonne. Il fait quelques clichés mais il ne semble pas satisfait. Il parvient à fixer sur la pellicule un face-à-face de profil du policier casqué et de Cohn-Bendit. La photo est déjà assez bonne mais Caron se dit qu’il y a sûrement un meilleur angle.

Et, finalement, il parvient à trouver la bonne position, juste derrière le policier. Cohn-Bendit repère à ce moment-là Gilles Caron qui lui fait face et qu’il connait pour avoir été déjà photographié par lui à l’université de Nanterre, au début des événements. Dany est malin. Il ressent instinctivement qu’un bon photographe peut tirer profit de la situation. Dany joue le jeu. Tout concorde pour Gilles Caron. Le cadre est bon, les personnages sont en place. Il suffit maintenant de saisir la bonne minimique du protagoniste, Cohn-Bendit, qui est au centre de l’image. Le négatif nous permet de savoir que Caron a appuyé 15 fois en rafale pour obtenir “la” photo désormais si célèbre.

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La composition du cliché est parfaite. La contre-plongée fait apparaître le policier très grand. Il regarde de haut le leader étudiant. La stature dominante du gardien de l’ordre face à un visage poupin, goguenard, rieur, effronté mais pas agressif. C’est «bon enfant» . Cela renvoie aux mythes de David et Goliath, à Till Eulenspiegel de la tradition allemande, à Gavroche. Il y a un côté infiniment paisible dans cette photo. Le policier est imposant mais stoïque. Il ne menace pas, il ne matraque pas. Il regarde ce jeune homme qui a pratiquement son âge (à un an près) avec circonspection, avec retenue. C’est tout cela que capte Gilles Caron avec son Nikon.

D’autres photographes saisiront au même endroit la même scène avec les mêmes personnages, mais sous des angles légèrement différents. Et leurs photos sont moins éloquentes, moins saisissantes.

L'idée largement répandue que cette photographie portait en elle cette destinée d'icône, et qu'elle le serait devenue de par ses qualités propres, ses qualités photojournalistiques et formelles, qu'elle se serait imposée d'emblée dans les médias est fausse

Ces images qui font l’histoire font surtout l’histoire du photojournalisme». Les photos qui servent d'icône à Mai 1968 ne sont pas toujours les archives originelles, mais des constructions médiatiques lors des commémorations.

La célèbre photo de Cohn-Bendit faisant face à un CRS est devenue “LA” photo de Mai 68 dans la mythologie professionnelle.Elle est attribuée à Gilles  Caron. 
Audrey Leblanc a établi que la photo de Caron n’a jamais été publiée dans un organe d’information pendant les événements.
En 1968, ce sont 2 autres photographies de la même scène, très proches, qui sont publiées.

En 1968, ce sont 2 autres photographies de la même scène, très proches, qui sont publiées.

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une dans L’Express (version de Jacques Haillot) 

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l’autre dans Paris Match (version en couleur de Georges Melet).

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Celle prise par Gilles Caron paraît en petites dimensions sur une double page (au sein d’un montage en mosaïque de nombreuses photos) de la publication professionnelle « Journaliste, Reporters, Photographes » autour de la mi-juin 1968.

Elle prend de la valeur a posteriori.
D’abord en 1970 dans une exposition organisée par Nikon, consacrée aux photoreporters de Gamma dont Gilles Caron. Puis elle est reprise par « Photo magazine » qui la publie en pleine page à bord perdu peu de temps après, lors de l’annonce de la disparition du photographe au Cambodge (avril 1970).
Elle reparaît plus tard en 1975 en couverture du livre de D. Cohn-Bendit « Le Grand bazar » ; puis en 1978 pour les dix ans de Mai 68 elle apparaitra en double page de magazines..

l’institutionnalisation de Gilles Caron, décrit après coup comme le photographe emblématique de Mai, apparaît comme une construction éditoriale et l’occasion de valoriser les images du photojournalisme en tant qu’instrument du passage à l’histoire et au symbole. Cette dernière démonstration ouvre sur la conclusion paradoxale d’une amnésie médiatique, qui remet en question le mythe d’une prétendue “mémoire” historique. Celle-ci repose pour l’essentiel sur le travail de remobilisation culturelle et sur la mise en avant d’icônes ritualisées. Comme l’explique Audrey Leblanc: «Ces images “qui font l’histoire” font surtout l’histoire du photojournalisme».

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